© POUR LA SCIENCE. N° 275 SEPTEMBRE 2000
 Où sont-ils? 
 
IAN CRAWFORD
 
 Malgré des années de recherche, aucune intelligence extraterrestre n'a été trouvée. Serions-nous seuls dans la Galaxie? 
 Combien d'autres civilisations l'Univers abrite-t-il? Plusieurs découvertes ont ravivé l'intérêt pour cette question fascinante.
En premier lieu l'existence de planètes hors de notre Système solaire est désormais avérée.
Ces cinq dernières années, les astronomes ont découvert des planètes d'une masse proche de celle de Jupiter, autour, d'une quarantaine d'étoiles analogues au Soleil. Ils n'ont pas trouvé de planètes de type terrestre -les instruments n'étant pas encore assez sensibles, mais ces dernières    sont    vraisemblablement
aussi nombreuses que leurs grandes sœurs. Si l'on admet que les planètes sont nécessaires à la genèse et à l'évolution de la vie, ces découvertes réconfortent l'idée de l'omniprésence de la vie dans l'Univers. La vitesse incroyable à laquelle la vie s'est établie sur notre planète corrobore également cette idée. En 1993, WoIliam Schopf, de l'Université de Los Angeles, a trouvé des bactéries fossilisées dans des roches d'Australie vieilles de 3,5 milliards d'années. Ces organismes relativement étaient le fruit d'une longue  évolution.  Ainsi,  si  la vie est née sur Terre, elle a dû y apparaître il y a environ quatre milliards d'années. Or la Terre elle même s'est formée il y a 4,6 milliards d'années : l'apparition rapide de la vie (à l'échelle des temps géologiques) indique que cette première étape est relativement facile à franchir. Selon le biochimiste belge Christian de Duve (prix Nobel de chimie en 1974), l'apparition de la vie est quasi inéluctable partout où les conditions physique sont semblables à celles qui prévalaient sur notre planète il y a quatre milliards d'années. Tout porte à croire que notre Galaxie fourmille de créatures vivantes. 
 

1. AUCUN SIGNAL n'est jamais parvenu d'éventuels extraterrestres qui habiteraient la Galaxie. Les recherches d'intelligence extraterrestre ont partiellement exploré le ciel à la r"echerche d'émetteurs radio de la puissance de ceux que l'on trouve sur Terre et qui seraient situés à moins de 4000 années-lumière de notre planète (cercle jaune) ou d'une puissance correspondant à une civilisation de type I (plus évoluée que la nôtre) qui se trouverait à moins de 40 000 années-lumière (cercle rouge). Certains astronomes sont déconcertés par cette absence de signaux.
 
 Peut-on en déduire un foisonnement de civilisations techniques? Nombre de biologistes ont ainsi estimé que, dès l'apparition d'une forme de vie primitive, la sélection naturelle conduirait inéluctablement à l'intelligence et à la technique. Inéluctablement? En 1950, le physicien Enrico Fermi a contesté cette thèse: si les extraterrestres sont si nombreux, où sont-ils donc? Ne manifesteraient-ils pas leur présence? Ce "paradoxe de fermi" est largement débattu depuis un demi-siècle,
Les débats se sont fondés sur deux types d'études. D'une part, on a cherché des intelligences extraterrestres dans le domaine radio: ces programmes SETI (Search for ExtraTerrestrial Intelligence, soit "recherche d'intelligence extraterrestre") n'ont jamais détecté d'émissions pouvant provenir d'une autre civilisation. D'autre part, on a cherché -en vain- des traces de la visite d'extraterrestres sur la Terre
La recherche d'extraterrestres par radioastronomie a été envisagée sérieusement pour la première fois par les physiciens Giuseppe Cocconi et Philip Morrison, dans un article publié en 1959 dans la revue scientifique Nature. Un an après, la recherche proposée commençait avec le projet Ozma : frank Drake et ses collègues de l'Observatoire de radioastronomie de Green Bank, en Virginie de l'Ouest, ont écouté les signaux en provenance de deux étoiles proches. Depuis de nombreuses études ont suivi, de l'écoute de l'ensemble de la voûte céleste à des recherches ciblées sur des centaines d'étoiles individuelles. Malgré les efforts, les astronomes n'ont pas détecté de signaux extraterrestres.
Un demi-siècle de recherche, c'est peu pour une question si grave, et l'absence de résultats positifs ne permet pas d'affirmer qu'il n'existe pas de civilisations extraterrestres. Seule une petite partie des possibilités a été explorée, mais les
résultats initiaux donnent des limites intéressantes sur le nombre de civilisations capables de transmettre des ondes radio dans la Galaxie (voir l'encadré des pages 26 et 27).
Le paradoxe de Fermi s'aggrave quand on examine les hypothèses sur lesquelles se fonde la recherche d'intelligence extraterrestre, notamment l'estimation du nombre total de civilisations galactiques, éteintes ou existantes. Paul Horowitz, de l'Université Harvard, estime qu'il devrait exister au moins une civilisation capable d'émettre des signaux radio à moins de 1 000 années-lumière du Soleil, c'est-à-dire dans un volume de l'espace contenant approximativement un million d'étoiles de type solaire. Dans cette hypothèse, l'ensemble de la Galaxie devrait abriter un millier de civilisations.
Ainsi, à moins que ces civilisations ne soient très durables, un nombre considérable de civilisations se sont développées et ont décliné au cours de l'histoire galactique. Statistiquement, le nombre de civilisations présentes à un moment donné est égal à la fréquence d'apparition multipliée par leur durée de vie moyenne. On estime la fréquence d'apparition des civilisations galactiques en considérant qu'elle est égale au nombre total de civilisations qui sont apparues divisé par l'âge de la Galaxie, c'est-à-dire environ 12 milliards d'années. Si les civilisations apparaissent à un rythme régulier et si elles vivent en moyenne 1 000 ans chacune, 12 milliards de civilisations techniques ont dû se développer dans toute l'histoire de la Galaxie pour qu'on en compte 1 000 aujourd'hui. En modifiant les hypothèses sur la fréquence de formation et sur la durée de vie moyenne, on détermine des nombres différents de civilisations, mais ils restent très grands. Comment aucune de ces milliards de civilisations n'aurait-elle laissé de preuve de son existence?
La migration extraterrestre

Ce problème a été examiné en 1975 par l'astronome Michael Hart et par l'ingénieur David Viewing. Il a ensuite été approfondi, notamment par le physicien Frank Tipler et par le radioastronome Ronald Bracewell. Tous considèrent qu'il n'existe aucune preuve claire de visites extraterrestres sur la Terre; en tout cas, la Terre n'a jamais été colonisée par une civilisation extraterrestre, car elle aurait bloqué notre propre évolution et nous ne serions pas là pour en parler.
Comment concilier l'absence de signes extraterrestres avec l'idée d'un grand nombre de civilisations avancées? Quatre possibilités ont été évoquées: les vols spatiaux interstellaires sont techniquement impossibles; les civilisations extraterrestres explorent activement la Galaxie, mais ne sont pas encore parvenues jusqu'à nous; le voyage interstellaire est possible, mais les extraterrestres ont choisi de ne pas l'entreprendre; enfin, les extraterrestres sont parvenus au voisinage de la Terre, mais ils ont décidé de ne pas nous approcher. Si nous parvenons à éliminer ces quatre explications, nous devrons envisager que nous sommes peut-être les formes de vie les plus évoluées de la Galaxie.
La première explication ne tient pas : aucun principe connu n'interdit les vols spatiaux interstellaires. Nous n'en sommes qu'à l'aube de l'ère spatiale, et les ingénieurs imaginent déjà des engins qui iraient à 10 ou 20 pour cent de la vitesse de la lumière: on atteindrait les étoiles les plus proches en quelques décennies (voir Vers les étoiles, par Stéphanie Leifer, Pour la Science, avril 1999).
Pour la même raison, la deuxième explication (les extraterrestres voyagent, mais ne nous ont pas trouvés) est également douteuse. Toute civilisation disposant de fusées rapides coloniserait la Galaxie entière en un temps bref à l'échelle cosmique.
Considérons qu'une civilisation envoie des colons sur quelques systèmes planétaires voisins.
 
 
Où Se cachent-ils?

Notre Galaxie semble dépourvue de civilisations avancées, mais des cultures moins développées pourraient avoir échappé à nos recherches.
À ce jour, personne n'a jamais détecté un signal radio envoyé par des extraterrestres. La quête commence seulement, mais l'absence de détection est déjà un résultat: les exobiologistes en déduisent le nombre maximum de civilisations qui pourraient vivre dans la Galaxie, et ils connaissent leur niveau technique.
Seules les fréquences voisines de 1,42 gigahertz ont été bien étudiées : elles correspondent à la raie d'émission de l'hydrogène, l'élément le plus répandu de l'Univers, car on suppose que des extraterrestres intelligents attireraient notre attention grâce à cette fréquence "naturelle". Le diagramme de la pagé ci-contre montre le degré d'avancement des recherches de signaux extraterrestres autour de cette fréquence. SI des civilisations émettent à cette fréquence, soit elles sont hors de portée, soit elles émettent trop faiblement pour que nos Instruments les détectent. Ainsi, on exclut l'existence de certains types de civilisations: des civilisations primitives (de niveau analogue à celui de la Terre) proches de la Terre, et des civilisations plus évoluées, mais plus éloignées. Dans ce diagramme, la distance à la Terre est portée en abscisse et la puissance efficace rayonnée isotrope est en ordonnée. Cette puissance est la puissance de l'émetteur divisée par la fraction du ciel couverte par l'antenne. Dans le cas d'un émetteur omnidirectionnel, la puissance efficace rayonnée isotrope est égale à la puissance de l'émetteur. Aujourd'hui, l'émetteur le plus puissant de notre planète est le radiotélescope d'Arecibo, à Porto Rico ; s'il était utilisé comme dispositif radar à faisceau étroit, sa puissance efficace rayonnée isotrope serait de l'ordre de 1014 watts.
Cette puissance sert à classer le degré technique des civilisations éventuelles: au début des années 1960, Nikolaï Kardachev, le pionnier russe de la recherche de signaux extraterrestres, et le physicien américain Carl Sagan ont considéré que les civilisations de type 1 émettent des signaux d'une puissance équivalente à celle de toute la lumière solaire atteignant une planète comme la Terre, soit 1016 watts environ; les civilisations de type II exploiteraient toute la puissance émise par une étoile de type solaire, soit environ 1 027 watts ; enfin, les civilisations de type III, encore plus évoluées, maîtriseraient la puissance d'une galaxie entière, soit 1 038 watts. Des intermédiaires sont envisageables : par interpolation, on détermine que l'humanité, jugée d'après le télescope d'Arecibo, est une civilisation de type 0,7.
Pour une distance et une puissance d'émission données, le diagramme indique la proportion d'étoiles qui ont été scrutées. Les zones colorées représentent les civilisations dont nous pouvons dire avec plus ou moins de certitude qu'elles n'existent pas. La zone noire correspond aux civilisations qui auraient pu échapper aux recherches. La zone noire s'élargit sur la droite du diagramme, ce qui correspond aux grandes distances par rapport à la Terre. Les programmes de recherche de signaux extraterrestres excluent déjà la présence d'émetteurs radio équivalents au té1escope d'Arecibo à moins de 50 années-lumière de la Terre. Plus loin, ils permettent d'exclure la présence des émetteurs les plus puissants. Au-delà de la Voie lactée, les programmes de recherche de signaux ne détecteront rien, car les vitesses relatives des galaxies feraient sortir les éventuels signaux de la bande de détection (plus un émetteur s'éloigne vite, plus la longueur d'onde émise est perçue allongée: c'est par cet effet Doppler que la sirène d'une ambulance qui s'éloigne parait plus grave).
Les résultats obtenus ne sont pas des évidences. Avant de commencer leurs recherches, les exobiologistes supposaient l'existence de nombreuses civilisations de type II et III. Elles n'ont pas été trouvées. Cette conclusion confirme d'autres données astronomiques: à moins d'avoir miraculeusement contourné le deuxième principe de la thermodynamique, les "supercivilisations" devraient se débarrasser de leur surplus de chaleur, et des rayonnements Infrarouges devraient être perceptibles. Or, les observations de Jun Jugaku et de ses collègues de l'Institut de recherche des civilisations, au Japon, n'ont repéré aucune émission de ce type dans un rayon de 80 années-lumlére. Si l'on suppose que la répartition des civilisations est aléatoire dans l'espace, ces résultats limitent également l'espacement moyen des civilisations, et donc leur probabilité de présence dans les zones non explorées de la Galaxie.
En revanche, des millions de civilisations légèrement plus évoluées que la nôtre peuplent peut-être la voie lactée. Une centaine de civilisations de type I pourraient également partager la Galaxie avec nous. Pour compliquer les choses, les extraterrestres pourraient utiliser une autre fréquence que celle de l'hydrogène, ou émettre par intermittence. Les programmes de recherche de signaux ont enregistré de nombreux "événements non statistiques' : des signaux trop forts pour être du bruit, mais jamais observés à nouveau. Ces signaux ne sont peut-être que des émissions de téléphones portables, mais ils pourraient également correspondre à des émissions extraterrestres intermittentes. Beaucoup reste encore à explorer.

Andrew LEPAGE est physicien à la Société Visidyne, à Burlington, où il analyse des données de télédétection par satellite.
LES RÉSULTATS DES PROGRAMMES de recherche de signaux extraterrestres sont résumés sur ce diagramme. La zone en noir correspond aux civilisations qui auraient pu échapper à nos recherches radio, soit en raison de leur éloignement, soit parce que leurs émetteurs sont trop faibles. Pour comprendre ce diagramme, choisissez une puissance d'émetteur (en ordonnée), déplacez-vous horizontalement jusqu'à la limite de la zone noire, et descendez alors pour lire la distance à la Terre sur l'axe horizontal. Par exemple, un émetteur équivalent à celui d'Arecibo (1,014 watts) doit âtre à plus de 4 000 années-lumière pour avoir échappé aux investigations. Les couleurs indiquent la proportion estimée de tous les systèmes stellaires qui ont été inspectés pour une puissance supérieure ou égale à une puissance donnée.
 
  Une fois ces colonies établies, elles partiraient fonder d'autres colonies, et ainsi de suite. Par un tel processus, le nombre de colonies croîtrait exponentiellement. Un front d'onde de colonisation se propagerait à une vitesse déterminée par la vitesse des vaisseaux et par le temps nécessaire à l'établissement de chaque colonie. D'autres colonies rempliraient rapidement le volume d'espace situé derrière ce front d'onde (voir la figure 2).
En supposant une distance entre les colonies de dix années-lumière, une vitesse de déplacement spatial égale à dix pour cent de la vitesse de la lumière, et une périodede 400 ans entre la fondation d'une colonie et l'envoi de ses propres colons vers l'extérieur, on calcule que le front d'onde de colonisation se propagerait à une vitesse moyenne de 0,02 année-lumière par an. Comme la Galaxie s'étend sur 100 000 années-lumière, cinq millions d'années suffiraient à la coloniser entièrement. Long à l'échelle humaine, ce temps
ne représente que 0,05 pour cent de l'âge de la Galaxie. Par rapport aux autres échelles de temps pertinentes pour notre étude (astronomiques et biologiques), il est insignifiant. Dans les estimations précédentes, la principale incertitude concerne le temps nécessaire à une colonie pour s'établir et essaimer. Ce temps semble inférieur à 5 000 ans: c'est le temps qu'il a fallu à la civilisation humaine pour progresser, de l'ère des premières cités à l'ère spatiale. En remplaçant 400 par 5 000 dans les calculs, on obtient une colonisation complète de la Galaxie en une cinquantaine de millions d'années.
La conséquence est immédiate: la première civilisation dotée de la capacité et de la volonté de coloniser la Galaxie aurait pu le faire avant que d'éventuels concurrents aient la moindre chance de se développer. En principe, un tel événement aurait pu avoir lieu il y a plusieurs milliards d'années, quand les seuls habitants de la Terre étaient des micro-organismes et que la planète était
ouverte à toutes les influences extérieures. Pourtant, on n'a relevé aucun artefact physique ni aucune trace chimique ou biologique d'une visite éventuelle de la Terre par des extraterrestres. Même si les germes de la vie ont été délibérément introduits sur Terre, comme l'ont proposé certains, notre planète n'a plus été importunée depuis.
Ainsi, on doit supposer que le comportement des extraterrestres leur a barré l'accès à la Terre: les civilisations s'auto-détruisent-elles trop rapidement pour coloniser l'espace? Ne sont-elles pas intéressées par la colonisation? Ont-elles décidé de ne pas perturber le développement des autres formes de vie? Parmi les chercheurs qui participent au projet SETI, beaucoup sont convaincus que les civilisations extraterrestres sont très répandues, mais évacuent le paradoxe de Fermi en avançant sans examen ces considérations sociologiques. Toutefois, ces tentatives d'explication ne résistent pas lorsque le nombre de civilisations
 
 

2. LA COLONISATION DE LA GALAXIE est une entreprise colossale, mais rapide, à l'échelle de l'Univers. L'humanité pourrait d'abord envoyer des colons vers deux étoiles proches; le voyage durerait une centaine d'années avec les techniques envisageables aujourd'hui. Après 400 ans d'Installation, chaque colonie enverrait deux nouvelles missions de colonisation, et ainsi de suite. En 10 000 ans, nos descendants auraient investi tous les systèmes stellaires dans un rayon de 200 années-lumière autour de la Terre. La colonisation de l'ensemble de la Galaxie ne prendrait que 3,75 millions d'années, une fraction de seconde en termes cosmiques. Si une civilisatIon extraterrestre avait déjà entrepris un tel programme de colonisation, on devraIt trouver ses colonies autour de nous.
extraterrestres est élevé. Si la Galaxie a abrité des millions ou des milliards de civilisations techniques, il est très peu probable que toutes, sans exception, se soient autodétruites, que toutes se soient contentées d'une existence sédentaire, ou que toutes aient eu le même respect des formes de vie moins développées. Une seule civilisation avancée qui en aurait eu la volonté ou le besoin aurait colonisé la Galaxie. De surcroît, la seule civilisation technique que nous connaissions, la nôtre, ne s'est pas encore autodétruite; ses tendances expansionnistes sont fortes, et elle ne cherche pas à éviter les contacts avec d'autres créatures vivantes.
Pour plusieurs raisons, je pense qu'un programme de colonisation interstellaire est assez probable. D'abord, une aptitude à la colonisation chez une espèce lui conférerait un avantage évolutif transmissible aux cultures de l'ère spatiale. De surcroît, les motivations de colonisation spatiale sont nombreuses: elles sont d'ordre politique, religieux ou scientifique. L'intérêt scientifique est puissant, car la première civilisation évoluée serait, par définition, seule dans la Galaxie. Toutes ses recherches d'intelligences extraterrestres étant infructueuses, elle serait tentée de lancer un programme d'exploration interstellaire pour en comprendre la raison.

La solution du paradoxe?

Même si la plupart des civilisations extraterrestres étaient paisibles, sédentaires et peu curieuses, elles finiraient toutes par avoir une raison capitale d'explorer l'espace: leur survie finirait par être menacée par l'étoile lie leur système planétaire. En effet, aucune étoile n'est éternelle. Dans l'histoire de la Galaxie, des centaines lie millions d'étoiles de type solaire ont épuisé leur combustible, l'hydrogène, et achevé leur existence sous forme de géantes rouges ou de naines blanches. Si les civilisations étaient nombreuses autour de telles étoiles, où sont-elles parties? Se sont-elles tout simplement laissées mourir?
La rareté apparente des civilisations techniques appelle une explication, que l'enrichissement chimique de la
 
 Galaxie pourrait fournir. Toutes les formes de vie terrestre et toute vie extraterrestre imaginable sont composées d'éléments plus lourds que l'hydrogène et l'hélium: carbone, azote, oxygène... Ces éléments sont créés par des réactions nucléaires au sein des étoiles, et ils s'accumulent progressivement dans le milieu interstellaire; ensuite, ils s'intègrent aux nouvelles étoiles et aux planètes. Au début de l'histoire de la Galaxie, ces éléments étaient moins abondants qu'aujourd'hui, et leur rareté a peut-être prévenu l'apparition de la vie. Par rapport aux autres étoiles de notre région de la Galaxie, le Soleil contient beaucoup de ces éléments pour son âge. Est-ce par hasard que le Système solaire a une longueur d'avance du point de vue biologique?
En outre, l'argument précédent n'est pas parfaitement convaincant. Les exobiologistes ne connaissent pas les quantités minimales d'éléments lourds à partir desquelles la vie peut se développer. Si des concentrations à peine supérieures au dixième des valeurs solaires suffisent, ce qui est plausible, alors la vie aurait pu apparaître autour d'étoiles beaucoup plus vieilles que le Soleil. En outre, bien que le Soleil contienne beaucoup d'éléments lourds, il est loin d'être exceptionnel. Ainsi l'étoile 47 de la constellation de la Grande Ourse a autant d'éléments lourds que le Soleil. Assez proche du Système solaire, cette étoile est accompagnée d'une planète d'une masse analogue à celle de Jupiter, et son âge semble d'environ sept milliards d'années. La vie aurait pu apparaître dans son système planétaire deux milliards et demi d'années avant la vie terrestre. Des millions d'étoiles chimiquement riches et d'âge comparable peuplent la Galaxie, en particulier vers son centre. L'évolution chimique de la Galaxie ne résout pas le paradoxe de Fermi.
L'histoire de la vie sur Terre indique une autre explication, qui semble plus plausible. La vie a très vite été présente sur la Terre, mais la vie animale, multicellulaire, n'est apparue qu'il y a 700 millions d'années seulement: pendant plus de trois milliards d'années, les seuls habitants de la Terre étaient des micro-organismes unicellulaires. Ainsi l'évolution d'organismes plus complexes que les unicellulaires est peu probable, et la transition de la vie unicellulaire aux êtres multicellulaires ne s'opère-t-elle peut-être que sur une faible proportion des millions de planètes occupées par des organismes unicellulaires.
On peut rétorquer que la longue solitude des bactéries est simplement un passage obligé de l'apparition de la vie animale sur la Terre. Peut-être a-t-il fallu si longtemps (et cela s'applique aux autres planètes habitées), parce que cet intervalle correspond au temps nécessaire pour que la photosynthèse bactérienne produise les quantités d'oxygène atmosphérique indispensables à la complexification de la vie. Même dans le cas où des formes de vie multicellulaire finissent par apparaître sur toutes les planètes porteuses de vie, une évolution vers des créatures intelligentes n'est pas inéluctable, et elle l'est encore moins vers une civilisation technique. Selon le biologiste Stephen Jay Gould, l' évolution de la vie intelligente dépend d'une multitude d'influences environnementales qui sont principalement le fruit du hasard.
L'évolution des dinosaures illustre cette contingence: ces animaux ont dominé la planète pendant 140 millions d'années sans devenir capables de coloniser l'espace. Sans leur extinction, à la suite d'un événement fortuit, l'évolution de la vie sur la Terre aurait été très différente. Le développement de la vie intelligente sur Terre résulte de nombreux événements aléatoires, dont certains étaient très improbables.
En 1983, à l'Observatoire de Meudon, le physicien Brandon Carter concluait que les civilisations comparables à la nôtre sont vraisemblablement très rares, même si des planètes aussi hospitalières que la Terre sont monnaie courante dans la Galaxie.
Concluons en signalant que tous ces arguments, qui paraissent aujourd'hui très solides, seront peut-être contredits par de nouvelles découvertes. En 1853, le minéralogiste britannique William Whewell observait: "Les discussions qui nous occupent relèvent des frontières de la science, de la limite entre la fin de la connaissance et le début de l'ignorance." Malgré les progrès réalisés depuis cette époque, nous sommes encore à la limite de l'ignorance, et le seul moyen de résoudre le paradoxe de Fermi est d'explorer notre environnement cosmique avec le plus d'attention possible.
Les programmes d'écoute de signaux extraterrestres doivent se poursuivre jusqu'à ce que nous détections des signaux, ou (c'est l'hypothèse la plus vraisemblable selon moi) jusqu'à ce que nous puissions considérer que le nombre de civilisations capables d'émettre en radio et qui auraient

3. LES CADAVRES D'ÉTOILES, telle la nébuleuse du Papillon, jonchent la Galaxie. Si des êtres Intelligents ont autrefois habité autour de ces étoiles, où sont-ils aujourd'hui?

échappé à notre vigilance est inférieur à une limite très restrictive. Nous devons poursuivre l'exploration de Mars, afin de déterminer si la vie est jamais apparue sur cette planète; si la réponse est négative, nous devrons expliquer pourquoi. Nous devons construire des instruments spatiaux capables de détecter des planètes de la taille de la Terre autour d'étoiles proches, et rechercher des signes de vie dans les spectres de leur atmosphère.
Enfin, nous devons construire des sondes capables d'aller étudier les planètes en orbite autour d'étoiles proches.
Il faudra ce lourd programme d'exploration pour que nous parvenions à mieux comprendre notre place dans l'Univers. Si nous ne trouvons aucune trace d'autres civilisations techniques, c'est peut-être l'humanité qui devra se lancer dans l'exploration et la colonisation de la Galaxie.
 
Ian CRAWFORD est astronome au département de physique et d'astronomie de l'University College à Londres.